Le télétravail a-t-il éloigné les salariés du dialogue social ? Assiste-t-on à un affaiblissement du dialogue social ? Comment mettre en place un dialogue social efficace ?

Après la crise, les professionnels des risques psychosociaux ont constaté que les conflits se sont multipliés et sont réglés plus tardivement. Quelle en est la cause ? Le recours au télétravail ou au travail hybride ? En effet, le télétravail fait peser un risque sur le dialogue social.

1. Quel est le rôle du dialogue social ?

2. Pourquoi le télétravail a-t-il fragilisé le dialogue social au sein des entreprises ?

  • Un élargissement du télétravail
  • Des rapports devenus complexes
  • Une perte d’équilibre relationnel

3. Quelles sont les actions du CSE pour allier dialogue social et télétravail ?

  • La mise en place du télétravail par le dialogue social
  • La remontée des difficultés rencontrées

4. Comment mettre en place un dialogue social de qualité ?

5. Synthèse


Le monde du travail connaît de nombreuses mutations liées aux évolutions technologiques, aux changements climatiques et à l’accélération de la mondialisation. Ces changements modifient le dialogue social.

Avant la crise sanitaire, le travail à distance ou télétravail était plutôt rare. Les télétravailleurs conservaient leurs rapports avec les syndicats et représentants du personnel. Toutefois, la crise liée à l’épidémie de Covid-19 a changé la donne avec les différents confinements. Le télétravail s’est alors révélé crucial pour la poursuite de l’activité économique française.

Depuis, les rapports entre les salariés et les représentants du personnel ont été bouleversés. Les contacts se font plus rares. Par ailleurs, les télétravailleurs ont moins tendance à solliciter l’avis d’un élu que les salariés sur site.

Or, le dialogue social est un facteur d’efficacité économique et de progrès social grâce aux compromis trouvés entre les différents acteurs du monde du travail.

Avec l’essor du télétravail et le nombre croissant de salariés souhaitant bénéficier de la flexibilité de celui-ci (équilibre de vie, gain de temps, diminution de la fatigue et du stress), les acteurs du dialogue social doivent trouver des solutions pour maintenir le lien social. Il est donc nécessaire de faire évoluer les rapports.

Faisons le point sur les enjeux liés au dialogue social et au télétravail ainsi que sur les solutions pour sortir des tensions entraînées par la généralisation du télétravail.


1. Quel est le rôle du dialogue social ?


En France, le dialogue social joue un rôle essentiel dans la détermination des conditions de travail puisque de nombreux aspects de l’organisation du travail sont décidés au niveau de l’entreprise à l’aide des négociations collectives. Le dialogue social a fait l’objet d’une décentralisation qui a été accélérée par la loi El-Khomri de 2016 et les ordonnances Macron de 2017.

Certains, notamment les représentants syndicaux, ont tendance à préférer le dialogue social au niveau national afin de négocier avec le Gouvernement. Toutefois, en cas de manque de représentativité ou de légitimité, les représentants sont souvent remis en question.

Le Comité Social et Économique est au coeur du dialogue social. Il est présent au sein de l’entreprise et aux côtés des salariés. En tant qu’élu du CSE, vous présentez les réclamations et promouvez la santé et la sécurité de chacun. C’est pourquoi, le CSE doit être consulté sur le cas du télétravail.

En entreprise, le dialogue social comprend les relations formelles entre l’employeur et les représentants du personnel, ainsi que les relations quotidiennes au travail. Les premières renvoient au dialogue institutionnel encadré par les règles des instances et par le respect de certaines obligations (information, consultation, négociation). Par exemple, les négociations avec le Comité Social et Économique (CSE) sont obligatoires en matière de :

  • rémunérations, temps de travail et partage de la valeur ajoutée ;
  • égalité professionnelle entre femmes/hommes ;
  • qualité de vie au travail ;
  • gestion des emplois et mixité des métiers ;
  • performance collective.

Par ailleurs, le CSE doit être consulté au sujet :

  • de la politique sociale de l’entreprise ;
  • des conditions de travail et d’emploi ;
  • des orientations stratégiques ;
  • de la situation économique et financière de l’entreprise.


De plus, le dialogue social fait également référence aux relations sociales, c’est-à-dire aux relations collectives et aux interactions au sein de l’entreprise. Il s’agit des relations entre la direction, l’encadrement, les représentants du personnel et les salariés. Le dialogue social est présent au quotidien : entre collègues, entre services, avec la hiérarchie…

Un dialogue social de qualité assure une adaptabilité dans un contexte de changements permanents pour votre entreprise. Les sujets sont abordés de manière constructive et donne la possibilité de trouver des solutions aux difficultés et d’améliorer la qualité de vie au travail.

À l’inverse, un dialogue social sous tensions impacte négativement votre entreprise : coordination difficile, faible implication des salariés, baisse de productivité… La dégradation du climat social est un facteur de risque psychosocial pour les salariés.


2. Pourquoi le télétravail a-t-il fragilisé le dialogue social au sein des entreprises ?


Plusieurs facteurs sont venus bouleverser le dialogue social depuis la pandémie dont l’élargissement du télétravail à tous les salariés, des rapports de plus en plus complexes entre les salariés et les managers et une perte d’équilibre relationnel.

Un élargissement du télétravail


Pendant la crise sanitaire, le monde du travail a été transformé. Avant les confinements, le recours au télétravail était rare et souvent réservé aux cadres présents dans l’entreprise depuis de nombreuses années. Or la crise sanitaire a forcé les entreprises à étendre le télétravail à quasiment tous leurs salariés. Ces nouveaux télétravailleurs ont donc moins d’ancienneté et sont moins intégrés dans les collectifs de travail. De ce fait, ils se sont davantage retrouvés éloignés de leurs représentants du personnel.

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La définition du télétravail

Le télétravail est défini par l’article L1222-9 du Code du travail : « forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les techniques de l’information et de la communication ».


Des rapports devenus complexes


Depuis la fin de la pandémie, la plupart des salariés sont de retour en présentiel (sur site). Ce retour a fait ressurgir de nombreux conflits, parfois préexistants, qui sont devenus plus complexes puisqu’ils ont été « oubliés » pendant les phases de télétravail à 100 %.

En première ligne, que ce soit en présentiel ou avec du travail hybride (quelques jours de télétravail par semaine), les managers font davantage l’objet de violence verbale par les salariés. Une grande distanciation est née entre les managers et les salariés.

Les managers ont vu leur métier transformé par le télétravail. Ce changement a entraîné une perte de repères. Les managers doivent jongler entre les injonctions des directions souhaitant le retour des salariés sur site et les demandes des salariés appréciant le télétravail.

Par ailleurs, le télétravail a créé un manque de confiance de l’employeur envers les membres du CSE en télétravail. En effet, celui-ci peut craindre que le télétravail entraîne une baisse de productivité chez les membres du CSE en télétravail. De plus, pour l’employeur le risque de divulgation des informations sensibles par des membres en télétravail est plus important.

Enfin, le télétravail a aussi donné naissance à une inégalité non voulue entre les télétravailleurs et les présentiels (ceux qui travaillent sur site) ce qui peut faire ressortir un sentiment d’injustice et d’inégalité. Cette situation complique encore le rôle des membres du CSE. Au sein du CSE, certains peuvent être sur site et d’autres en télétravail ce qui rend plus difficile la bonne réalisation de leurs missions. De plus, en tant que membre du CSE, vous devez prendre en compte les intérêts de tous les salariés, en télétravail et en présentiel. Or selon leur situation, ils n’ont pas les mêmes besoins et attentes.

Une perte d’équilibre relationnel


Le télétravail a créé une perte de l’équilibre relationnel anciennement établi, en cause, un passage à une communication informelle à une communication écrite, une perte du temps de régulation ou encore un manque de fluidité dans les relations.

Par ailleurs, vous l’avez peut-être constaté, une négociation, voire une conclusion, des accords à distance est plus compliquée que sur site. Lors de la tenue d’une réunion du CSE avec des membres à distance, il peut être difficile de comprendre la véritable pensée de l’orateur. En effet, la distance peut impliquer un désengagement dans la négociation. C’est le cas pour la résolution des conflits puisqu’il est moins aisé de déterminer les situations de détresse à distance.

En tant qu’élu du CSE, vous avez dû constater une perte de proximité entre les salariés et vous. Est-ce seulement du fait des salariés ? Non, certains élus du CSE se sont également habitués aux réunions à distance et ne souhaitent pas revenir aux réunions en présentiel.

Bien évidemment, les problèmes rencontrés par les salariés en télétravail touchent aussi les membres du CSE. En effet, en tant que membres du CSE en télétravail, vous pouvez également vous sentir isolé, comme les autres salariés. Or cet isolement risque d’entraîner un manque de cohésion entre les membres et une perte d’engagement dans le dialogue social.

Enfin, même si les outils de communication sont nombreux, ils ne jouent pas en faveur du dialogue social. Par exemple, des groupes de discussion informels ont été créés sans les membres du CSE ou de la direction. Les informations communiquées auparavant par les représentants du personnel sont diffusées directement par des salariés. Ainsi ce nouveau canal de diffusion bouleverse le dialogue social. Pour rappel, un salarié qui diffuse ces informations n’est pas protégé.

Le télétravail est souvent vanté pour son côté positif sur la santé des salariés. Néanmoins, des limites sont vite apparues : isolement des salariés, difficulté à déconnecter, surcharge de travail, contrôle excessif. Par ailleurs, l’alliance du télétravail pour certains et du travail sur site pour d’autres, a créé des inégalités et à compliquer le travail des membres du CSE. Or cette situation a montré l’importance du dialogue social comme outil de prévention et de résolution des difficultés. Il est donc nécessaire de renforcer le dialogue social dans votre entreprise, surtout sur les conditions et l’organisation du travail.


3. Quelles sont les actions du CSE pour allier dialogue social et télétravail ?


Le CSE peut intervenir à deux moments : lors de l’instauration du télétravail et lors des difficultés rencontrées par les salariés.

La mise en place du télétravail par le dialogue social

Il est constaté que le télétravail améliore les performances et la satisfaction des télétravailleurs : meilleure conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle, moins de temps de transports, meilleur contrôle du temps de travail… L’impact psychologique est donc généralement positif. Le télétravail a également ses faiblesses et peut provoquer une augmentation du temps de travail et une dégradation des relations interprofessionnelles avec un isolement social, un manque de soutien, un risque de dépression…

Face aux risques liés au télétravail, en tant qu’élu du CSE, vous devez être informé et consulté pour la mise en place et la modification des modalités du télétravail. Vous pouvez aussi avoir recours à des expertises pour évaluer l’impact du télétravail sur les salariés.

En présence de délégués syndicaux, l’entreprise peut mettre en place un accord d’entreprise, sans consultation du CSE. C’est également le cas lors d’un accord employeur/salarié pour du télétravail ponctuel. Par contre, dans les autres cas, la consultation du CSE est obligatoire. Par exemple, vous pouvez demander l’élaboration d’une charte sur le télétravail pour informer tous les salariés des règles communes (conditions de passage en télétravail, modalités d’acceptation, droit à la déconnexion…) afin de diminuer le risque de conflits.

Les conditions de mise en oeuvre du télétravail doivent donc être négociées et contrôlées pour éviter les dérives (surveillance, accroissement des responsabilités, souffrance au travail…). Lors d’une mauvaise pratique du télétravail, il existe un risque d’invasion de l’employeur. Il s’agit donc d’un enjeu pour le dialogue social. Par exemple, il est possible de prévoir une visite à domicile d’un membre du CSE pour vérifier l’espace de travail pour vous assurer qu’il est adéquat.

L’accord national interprofessionnel (ANI) de 2020 a donné un cadre de négociation pour la mise en place du télétravail. Il recommande :

  • d’anticiper les circonstances conduisant à la mise en place du télétravail ;
  • de prendre en compte l’évolution du rôle des managers ;
  • d’être vigilant quant à la préservation de la cohésion sociale interne et aux conditions du maintien du lien social entre les collaborateurs ;
  • d’instaurer un droit à la déconnexion pour respecter les temps de repos et de congé, ainsi que la vie personnelle du salarié.

Pensez à vous inspirer de cet accord pour mettre en place le télétravail dans votre entreprise.

La remontée des difficultés rencontrées

En tant que membre du CSE, vous avez accès aux documents en matière de santé et de sécurité au travail et vous pouvez analyser les risques psychosociaux. Par ailleurs, vous êtes tenu d’informer l’employeur des difficultés rencontrées par les salariés.

De plus, en cas d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé ou en présence d’un grave et imminent, vous disposez d’un droit d’alerte pour saisir immédiatement l’employeur.


4. Comment mettre en place un dialogue social de qualité ?


Pourquoi rechercher un dialogue social de qualité ? Un bon climat social préserve la santé des salariés : moins de risques d’accidents du travail et moins d’absentéisme. Ainsi, en présence de tensions et fragilités, il est nécessaire de réinventer les liens sociaux.

Pour mettre en place une bonne qualité dans le dialogue social, pensez à recourir à tous les leviers à disposition : outils de prévention, nouvelles modalités d’organisation… Il faut provoquer l’adhésion des salariés en proposant des services ciblés et en incluant des revendications leur donnant envie de s’impliquer. Le dialogue social doit se focaliser sur des sujets concrets avec l’association de tous les acteurs de l’entreprise. Prenez la main sur les canaux de diffusion de l’information en ligne pour rendre visible votre travail.

Le numérique peut aussi rapprocher les salariés et les faire participer davantage au collectif. Il est temps de saisir cette opportunité. Les procédures d’information et de consultation sont le premier niveau du dialogue social et le numérique peut vous aider à impliquer les salariés. En cas contraire, les questions remontées en réunion seront déconnectées des besoins des salariés. Il est donc important de bâtir une relation de confiance entre les salariés et vous pour générer des échanges constructifs. Programmez des réunions en amont des réunions d’instance, rencontrez les salariés sur site ou à distance… Tous les moyens sont bons pour recueillir les points de vue et les besoins.

Enfin, un des points souvent négligé est l’intervention des managers. Ils doivent être impliqués dans le dialogue social puisqu’ils sont en première ligne pour maintenir le collectif et échanger avec les salariés. Par ailleurs, ils ont un rôle clé dans la mise en oeuvre opérationnelle du télétravail. Ils peuvent favoriser le dialogue et ils assurent l’articulation entre télétravail et travail sur site. Ils peuvent devenir les garants du maintien du dialogue social en faisant circuler les informations et en remontant les signaux de faiblesse ou de tensions. Avec l’appui des managers, vous aurez plus facilement connaissance des préoccupations des salariés.

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5. Synthèse


Depuis la crise sanitaire, l’essor du télétravail a éloigné les salariés des représentants du personnel et a rendu le travail des élus du CSE plus compliqué. De plus, le télétravail a révélé quelques risques à prendre en considération : surcharge, isolement, rupture du lien social… Or pour que le télétravail soit une force et non une faiblesse, il est important que les membres du CSE négocient sa mise en place et fassent remonter les difficultés rencontrées. Pour cela, ils peuvent s’appuyer sur l’ANI de 2020. Il s’agit d’un guide du dialogue social en matière de télétravail avec des recommandations sur la mise en place du télétravail. Par ailleurs, alors que le télétravail a souvent éloigné les représentants du personnel et les salariés, il est possible de faire du numérique une force pour que les salariés s’impliquent davantage, notamment avec des outils de prévention, des canaux de communication ou encore en impliquant les managers dans le dialogue social.